Lumière du monde: première impression
Loin de l'argument de marketing, le Pape ne s'est pas du tout "mis à nu". Il s'est adressé au monde, et pas forcément - et même pas vraiment - aux catholiques (30/11/2010)
Je viens d'acheter - et de dévorer avec un grand plaisir - Lumière du Monde, dans la version en français. Je me propose de le relire plus tard, de façon plus approfondie.
J'avais tellement lu à son sujet - et même tellement vu d'anticipations, traduites ici (Luce del mondo: le Pape en privé) et là (La luce del Mondo) - que ce n'était plus vraiment une découverte.
Je crains cependant qu'il n'y ait un qui pro quo autour de ce livre, qui révèle au moins autant (je crois même beaucoup plus) de la personnalité de l'interviewer, que de celle de l'interviewé: c'est très clair, dans le choix et la présentation de certaines questions, par exemple sur un sujet comme le réchauffement de la planète, abordé au chapitre 4 sous le titre "La catastrophe globale".
Commençons par la préface, très belle.
Peter Seewald y décrit sa rencontre avec le Saint-Père en ces termes:
* * *
"Nous attendons dans une antichambre aussi vaste qu'un manège. Peu après, une porte s'ouvre. Et voilà que se découpe la silhouette - qui n'a rien de gigantesque, elle - du pape qui me tend la main. Ses forces ont décliné, me dit-il en me saluant, comme en s'excusant presque. Mais plus tard, je ne verrai rien qui pourrait me laisser penser que les fatigues liées à sa fonction ont réellement diminué la vigueur de cet homme, et a fortiori son charisme. Bien au contraire.
(...)
« Quel effet cela fait, m'a-t-on demandé, de se retrouver d'un seul coup assis tout près de lui ? » Je n'ai pu m'empécher de penser à Émile Zola, qui décrit dans l'un de ses romans un prêtre attendant en tremblant, presque tétanisé, une audience chez Léon XIII. Avec Benoît XVI, personne ne tremble. Il facilite considérablement la tâche du visiteur. Ce n'est pas un prince de l'Église, mais l'un de ses serviteurs, un grand homme qui donne et qui puise toute sa force dans son don.
Parfois il vous regarde d'un air un peu sceptique. Comme cela, au-dessus des lunettes. Grave, attentif. Et lorsqu'on l'écoute, quand on est assis à cóté de lui, on ne sent pas seulement la précision de sa pensée et l'espoir qui naît de la foi, c'est un éclat de la lumière du monde qui devient singulièrement visible, un reflet du visage de Jésus Christ, qui veut rencontrer chaque être humain et n'exclut personne."
* * *
Mais ceux qui comme moi, et comme les visiteurs de ce site, j'imagine, lisent régulièrement les homélies, les discours du Saint-Père, écoutent les catéchèses hebdomadaires, dont beaucoup admirables, suivent les voyages (*), n'apprendront pas énormément de choses nouvelles sur sa pensée (même sur le préservatif, et Humanae Vitae), et seront peut-être même déçus par cet exercice de simplification et de vulgarisation (au meilleur sens du terme, bien sûr), sorte de "Le Pape Benoît pour les nuls" - on sait que cette collection n'est pas tant que cela pour les "nuls", d'ailleurs. Une pensée comme la sienne ne peut se résumer en 280 pages! Peter Seewald le sait bien - évidemment, ce n'est pas sa faute s'il n'a pas disposé de plus de temps.
(*) A propos des voyages, un beau chapitre (n°11) leur est consacré. On y apprend de la bouche du Saint-Père, avec des détails, qu'ils ont porté de beaux fruits.
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Nous avons vu ici ou là un argument de marketing de l'éditeur, ou du journaliste: "Le Pape se met à nu".
Rien n'est plus faux!
Le Saint-Père n'est pas un ingénu, il n'a ni de raison, ni l'intention, de se livrer entièrement en pâture à une opinion publique - dont il sait bien qu'elle ne rêve que "se payer le Pape"- à travers un journaliste, fût-il un bavarois pour qui il éprouve manifestement de la sympathie, et qui a fait le beau travail de rendre perceptible au grand public sa personnalité captivante. Ceci est déjà quelque chose de formidable. Mais je dirais presque: sur les sujets plus ou moins polémiques que Peter Seewald a choisi d'aborder avec lui (abus sexuels, "préservatif", erreurs de communication, discours de Ratisbonne, levée des excommunications, Williamson), répondre autrement n'aurait pu être que contre-productif.
J'ose donc dire que ce que j'ai préféré, ce sont les confidences personnelles, parfaitement réservées, par ailleurs. Presque toutes se trouvaient dans les anticipations de l'OR, et surtout de l'Avvenire.
Deux ou trois autres ont attiré mon attention:
Peter Seewald lui demande: "Le Pape est toujours habillé en blanc. Ne porte-t-il pas quelquefois, au lieu de la soutane, un pull-over de détente?", et il explique avec simplicité: "Non. L'ancien secrétaire adjoint du Pape Jean-Paul II, Mgr Mieczyslkaw Mokrzycki, m'a transmis la consigne: le Pape a toujours porté la soutane, vous devez faire de même".
A une autre question de Peter Seewald lui faisant observer qu'il porte une "montre-bracelet des années 60 ou 70, une Junghans", il répond de façon très touchante "elle appartenait à ma soeur, qui me l'a léguée. Quand elle est morte, la montre m'est revenue".
Un peu plus loin, il confie qu'il reçoit de nombreuses lettres "de gens simples, de religieuses, de pères, de mères, d'enfants, qui m'encouragent; ils m'écrivent 'nous prions pour toi, nous t'aimons'..." (page 33)
Que dire d'autre?
J'ai lu certaines réserves (que je ne partage pas) sur des sites "amis".
Mais je vois bien que de l'autre côté catholique, on essaie aussi de récupérer le discours du Pape, pour en faire un sujet de discorde (cf. La Vie: "Le pape critiqué sur son aile droite"), ce qui est évidemment à des années-lumière de ses intentions.
Nouvelle évangélisation
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Francesco Colafemmina (Fides et Forma) a commencé une lecture minutieuse - et critique!
Au milieu de critiques en effet un peu sévères - surtout dans les commentaires - on lit ceci, qui est très juste et rend parfaitement clair que la présentation du livre ait été confiée à Mgr Fisichella, récemment chargé par Benoît XVI de la nouvelle évangélisation - puisque c'est de cela qu'il s'agit.
Texte original, ma traduction.
Arrivé à la dernière page, l'impression finale est que «Lumière du monde», le livre-interview avec Benoît XVI n'est pas tant adressé aux catholiques qu’au «monde» qu’il porte déjà dans le titre. Sans doute les lecteurs de nouvelles ecclésiales sur le Web et dans la presse, ceux qui ont lu les discours du Pape et ses encycliques n’y trouveront-ils rien de nouveau, et ne seront-ils pas étonnés d'apprendre que le missel est «le livre liturgique du rite catholique romain » (comme indiqué dans une note p.155), mais n’en trouveront pas moins des faits et des réalités de l'Eglise débattus au cours des dernières années. On en déduit pourtant que la fonction du volume est clairement apologétique. Défendre le pape et défendre l'Église et réhabiliter les deux aux yeux du monde, afin que le monde puisse regarder avec une plus grande confiance vers le catholicisme et ne craigne pas d'embrasser l'Évangile.
La fonction coïncide donc avec cette intention de promouvoir une « nouvelle évangélisation » dont avait parlé Mgr Fisichella le jour de sa présentation au Vatican. Une évangélisation qui cette fois doit partir non pas directement de l'Évangile, mais de celui qui l’annonce et de l'institution dans laquelle le Christ vit, autrement dit le Pape et l'Eglise. Faire tomber les murs des préjugés, réduire les distances et le malaise causés par l'impact tragique des scandales de pédophilie, récupérer la confiance du monde, des institutions, des hommes de culture, des lecteurs croyants et non croyants de cette terre: tel est l'objectif de «Lumière du monde."
(..)
Le christianisme n'est pas formé que d'interdits
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Un autre point de vue intéressant est celui de Jean-Marie-Guénois, du Figaro, sur son blog, ReligioBlog, notamment autour des propos, qui ont choqué certains, sur Humanae Vitae:
(..) Benoît XVI ose, là aussi, dire ce qu'aucun Pape n'a encore dit : que ce que l'Eglise propose, est un chemin difficile à parcourir. Seule une « minorité » (édition italienne) un « noyau (édition française), y parvient. « Nous sommes des pécheurs » rappelle le Pape invitant l'Eglise catholique à retravailler cette question pour mieux présenter son message qui cherche à unir sexualité et personne humaine et non à les déconnecter.
Il faudrait plus de développement mais c'est, de mon point de vue, une très grande nouveauté de voir, pour la première fois depuis quarante ans, l'Eglise catholique reconnaître que ce qu'elle demande sur ce plan - et qui a détourné d'elle des multitudes de couples - est un idéal qui va de pair avec l'humilité. Or c'est précisément l'impression contraire - inaccessibilité, arrogance, vision rétrograde - qui domine. L'Eglise catholique apparaît souvent comme un club de parfaits.
Pour suivre de près l'actualité vaticane depuis plus de vingt ans - dont dix à Rome - et avoir connu et échangé avec Joseph Ratzinger avant qu'il ne devienne pape, je ne suis pas surpris de la tonalité de ces pages qui recoupe une préoccupation fondamentale chez lui : rendre son vrai visage au christianisme. Et combattre sa caricature.
Il y a toujours eu, sur ce plan, un différend entre le cardinal Ratzinger et Jean-Paul II. Débat peu connu de l'extérieur. Mais le théologien allemand considérait que le Pape polonais parlait trop de morale catholique (ce qui était sa spécialité universitaire en Pologne). Ce qui finissait par laisser penser à l'extérieur que le catholicisme n'était qu'une morale. Ce qui faisait fuir les gens, à juste titre.
Dernière remarque, beaucoup se sont émus, dont Peter Seewald - celui qui a conduit l'interview du Pape - de la focalisation des « médias » au moment de la sortie du livre, sur la seule question du préservatif, passant à côté d'autres dimensions du livre. Franchement, il ne faut pas exagérer ! La couverture médiatique a été exceptionnelle, justement à cause de ce passage là. Et à juste titre, car il s'agit bien d'une nouveauté. Cette publicité indirecte sur la sortie du livre, fut-elle imparfaite, n'empêche personne de le lire et de s'en faire une juste idée.
Pour conclure provisoirement, en attendant de revenir peut-être sur certains passages, qui méritent qu'on s'y attarde (comme par exemple sur les fruits de ses voyages) je cite mon amie Lucie S., qui m'écrivait:
Je crois que Benoît XVI a eu raison de publier ce livre.
Habituellement, personne (hors nous qui l'aimons et le clergé) ne connaît ses enseignements et sa personnalité sublime et un tel livre sera lu par de très nombreux lecteurs. Sa parole peut produire un bien incalculable. J'ai une absolue confiance en lui!