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Les réflexes curieux des journalistes catholiques

Une nouvelle tribune de François H. Cette fois, le point de départ de sa réflexion est constitué par les commentaires d'une certaine presse "catholique" au documentaire diffusé mercredi dernier par Arte "Le vrai pouvoir du Vatican" (5/11/2010)

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D'autres textes de François H ici.
Le dernier article avait suscité, disons... une "polémique"


 


Les réflexes curieux des journalistes catholiques

La chaîne de télévision franco-allemande Arte a passé dernièrement un documentaire sur « Le vrai pouvoir du Vatican ». Avec un tel titre, et une telle chaîne, qui n’est pas vraiment réputée pour sa cathophilie et diffusait peu de temps auparavant le film Amen de Costa-Gavras, on pouvait craindre le pire.
Or le pire n’est pas arrivé. Le documentaire était honnête et même parfois très favorable aux prises de position temporelles du Saint-Siège.

Cependant, ce n’est pas le documentaire qui a retenu mon attention, mais les réactions catholiques à sa diffusion. Par souci de ne pas être polémique, je ne nommerai pas les journaux et les journalistes cités. Du reste, ils peuvent être assez facilement reconnus. Je prie donc mes éventuels lecteurs de bien vouloir croire à l’authenticité de toutes les citations, que je m’efforce de ne tronquer que pour une plus grande commodité de lecture, sans en déformer le sens.
Deux articles m’ont frappé. Voici quelques passages du premier, extrait d’un journal qui revendique un regard « humaniste et chrétien » sur l’actualité :

Informé mais partial. Et incomplet. En deux épisodes, Jean-Michel Meurice […] entend consacrer un documentaire aux relations du Saint-Siège avec les pouvoirs politiques, depuis les accords du Latran, en 1929, jusqu’au pontificat de Jean Paul II.

Dès les phrases de présentation, celles qui doivent donner des informations objectives, le ton général est donné : c’est celui de la réprobation. En quoi le documentaire est-il partial ?

Après avoir été nonce apostolique en Allemagne, Pie XII était, semble-t-il, viscéralement opposé à Hitler.
Devant les menaces faites aux catholiques en représailles à leur non-ralliement au nazisme, le nouveau pape préféra néanmoins la voie diplomatique à l’opposition frontale… C’est donc un Pie XII soucieux de protéger ses ouailles que l’on découvre.


Outre que le souci de Pie XII pour ses « ouailles » n’est à mon sens pas une découverte, on peut s’étonner de telle modélisation (« semble-t-il »), alors que l’antinazisme d’Eugenio Pacelli est avéré et qu’on sait de lui qu’il fut le principal rédacteur de Mit brennender Sorge. On s’étonne surtout de cet argument curieux :

Mais, pour décrire cette impasse, le documentariste laisse surtout la parole au père Gumple. Ce qui décrédibilise le propos : le jésuite est, en effet, relateur de la cause en béatification de Pie XII.

On peut en déduire, en forçant légèrement le trait : 1) qu’un ecclésiastique, ici un jésuite, ne peut être crédible dès lors qu’il s’exprime sur l’histoire de l’Eglise ; il est nécessairement « partial », comme le dit le journaliste pour décrire l’ensemble du documentaire ; 2) que les recherches effectuées dans le cadre d’une cause de béatification n’ont aucune valeur historique. J’en reparlerai plus bas. Enfin :

Le rôle décisif du pape polonais dans la chute du Mur de Berlin est bémolisé par un ton hagiographique. Quant à ses coups de crosse aux conférences épiscopales latino-américaines en lutte, grâce à la théologie de la Libération, contre les dictatures, il ne sera dit mot.

De ce passage, on déduit : 1) on ne peut parler en bien d’un Pape sans adopter un « ton hagiographique » inconvenant. Ce reproche, cependant, reste à mon sens plus compréhensible que la dépréciation du travail du P. Gumpel : une émission historique doit en effet garder un ton mesuré, même lorsqu’il s’agit d’exposer des faits incontestables ; 2) la théologie de la Libération, clairement condamnée par Rome, est une bonne chose et presque une « grâce » ; la combattre veut dire soutenir des dictatures sanguinaires.

Voilà pour le premier article.

Quant au second, plus élogieux (il décrit le documentaire comme « excellent »), il est extrait d’un journal catholique qui passe pour « modéré », si l’on peut dire. Voici comment il évoque l’action de Pie XII, l’un des dossiers les plus évidemment brûlants abordés par le documentaire :

On attendait évidemment le passage sur le « silence » de Pie XII face à l’extermination du peuple juif. Le sujet est traité, même si on peut regretter la part trop belle faite, dans les témoignages, au jésuite allemand Peter Gumpel, postulateur de la cause de béatification de Pie XII et donc partie prenante.

Curieusement, on retrouve exactement le même argument que dans le premier article : en tant qu’ecclésiastique et postulateur de la cause, le P. Gumpel ne pourrait avoir aucune compétence à parler d’histoire – alors qu’on sait pourtant le sérieux des travaux effectués dans le cadre de telles causes : l’Eglise ne béatifie pas à la légère. Plus significatif encore :

Le passage évoquant le pape de l’époque exorcisant Hitler, du balcon de la place Saint-Pierre, aurait mérité un minimum de recul, tant ce geste semble décalé face à l’ampleur du drame.

Ici, le journaliste raisonne en faisant totalement abstraction de la foi qui animait évidemment (on voudrait presque écrire : naturellement) le Pape de l’Assomption. On peut peut-être, si l’on n’est pas croyant, juger le geste « décalé », mais on ne peut nier sa force et sa portée. Le journaliste fait ici ce qu’aucun historien n’oserait faire : il réduit la Papauté à une mission purement temporelle. On peut tenir le spirituel pour une illusion, mais non décréter qu’il n’a aucune importance et considérer le Pape comme un simple chef d’Etat. Pour le Pape de l’Eglise catholique, si l’on tient compte de la dimension spirituelle de sa charge, l’exorcisme pourrait être considéré précisément comme le geste qui convient le mieux à un drame d’une telle ampleur. C’est ce que refuse de voir le journaliste, pourtant catholique.

Je peux me tromper, mais je crois que ces deux articles sont extrêmement significatifs de certaines pratiques du journalisme catholique.
Le résultat de ces articles me paraît clair : ils sèment l’équivoque et le trouble, alors que pour une fois, une chaîne peu favorable à la religion de leurs auteurs rétablissait certains faits trop souvent oubliés ou déformés.
On peut s’interroger sur la raison de ce paradoxe. On peut avancer un certain progressisme ou néomodernisme, qui pousse les journalistes à critiquer le dernier Pape préconciliaire : béatifier Pie XII serait approuver la condamnation de la Nouvelle Théologie ; ou bien une défiance vis-à-vis de l’Eglise « institution ». Peut-être. On ne peut pas le savoir avec certitude, Dieu seul connaît les cœurs. J’incline pour ma part de plus en plus vers une troisième explication, qui ne contredit pas les précédentes, mais peut s’ajouter à elles, et qui a l’immense avantage de nous permettre de ne pas juger nos frères journalistes : celle d’un réflexe d’écriture anticatholique.

Je m’explique. Que le lecteur me pardonne tout d’abord le pédantisme des références, mais elles me paraissent nécessaires : dans Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust s’opposait à l’explication des textes littéraires par la vie de leur auteur et distinguait un « moi » social, superficiel, le personnage empirique de l’auteur dans sa vie quotidienne, et un « moi » profond, celui de l’auteur écrivant : on ne peut pas juger du contenu d’un texte à son auteur, on ne peut juger de la personnalité d’un auteur à son texte.
Je suis tenté de dire que dans le cas de nos journalistes catholiques, c’est le contraire qui se produit. Le journalisme, à de rares exceptions près, n’est pas la littérature, surtout dans les deux articles cités, auxquels s’imposait certainement la nécessité d’une rédaction rapide dans un cadre déterminé, sans que le journaliste bénéficie d’une très grande marge de manœuvre. Je pense qu’il y a ainsi d’une part un « moi » profond, peut-être authentiquement catholique, et un « moi » journalistique superficiel, dont l’écriture se coule tout naturellement dans le moule de son journal. Et ce moule n’est pas toujours celui de la fidélité à l’Eglise, hélas. Il m’est arrivé d’être surpris d’entendre tel journaliste, dont les articles me paraissaient proprement odieux ou du moins équivoques, tenir à l’antenne de telle ou telle radio des propos surprenants de bonne volonté et de fidélité à l’Eglise.
Je crois que c’est bien là tout le problème.
Quand on lit Golias, la revue moderniste lyonnaise, on ne se pose guère de question : on sait que les journalistes veulent « casser la barraque », comme l’aurait dit le défunt P. Cardonnel o.p. ; on se demande seulement pourquoi des personnes détestant à ce point l’Eglise catholique s’obstinent à y rester. Mais quand on lit certains journaux catholiques plus modérés (j’avoue penser surtout à La Croix), on se demande sérieusement : mais que veut donc le journaliste qui a écrit cet article ?

Oui, que veulent-ils, ces journalistes catholiques qui, sur un ton imperturbable et pondéré, se font parfois l’écho des pires lieux communs médiatiques ? En fait, peut-être ne veulent-ils rien. Ce qui frappe, lorsqu’ils s’en prennent au Magistère, c’est qu’ils le font souvent froidement, sans passion. C’est souvent lorsqu’ils laissent percer leurs jugements ou même leurs sentiments personnels qu’apparaît leur attachement à l’Eglise. Je pense particulièrement à un journaliste de La Croix, que je ne nommerai pas, toujours par souci d’éviter toute polémique, qui semble se laisser aller à un discours convenu, discrètement hostile au Saint-Père, et qui, au détour d’un paragraphe, laisse paraître sa foi, parfois de manière convaincante ou émouvante. C’est tout le contraire de ce à quoi on pourrait s’attendre : c’est lorsque le journaliste parle sincèrement qu’il cesse d’être artificiellement critique.
On peut donc croire qu’il existe dans la grande presse catholique un certain nombre de réflexes d’écriture qui s’imposent aux journalistes quel que soit le fond de leur pensée. Pour en résumer le contenu, je pense qu’on peut les caractériser par un refus implicite de toute référence au surnaturel qui peut s’expliquer peut-être par un certain complexe vis-à-vis du monde et surtout de la presse mondaine. Face au naturalisme relativiste ambiant, la grande presse catholique donne l’impression de craindre que des convictions trop marquées lui ôtent toute crédibilité, qu’elles lui interdisent toute prétention à l’objectivité, de même que le jésuite Gumpler se voit interdit d’exposer des faits historiques objectivement vérifiables. Or que sont les convictions d’un catholique, sinon sa foi surnaturelle en Jésus-Christ et en son Eglise ?
Les conséquences en sont énormes. Non seulement cette presse refusera de marquer clairement sa foi aux mystères, mais, toujours par crainte de donner l’impression de ne pas être objective, elle s’efforcera d’en parler aussi peu que possible et même de la faire entrer dans ses analyses. J’en veux pour preuve un article publié sur le blogue d’une journaliste de l’un des journaux dont je parle. L’article traitait de l’ordination sacerdotale des femmes. Après avoir évoqué les débats internes à la communauté anglicane et mentionné au détour d’une phrase Ordinatio sacerdotalis, la journaliste met en cause la position romaine. Ce qui frappe, dans cet article, c’est l’absence de toute référence au surnaturel, à la théologie catholique du sacerdoce, même pour expliquer la position critiquée. La comparaison avec les anglicans n’est pas hasard ; et il n’est pas un hasard non plus que la journaliste ait omis de rappeler que Léon XIII, à la suite d’un grand nombre de théologiens, avait jugé invalides les ordinations anglicanes, et ceci pour une bonne raison : c’est l’ordre dans sa réalité sacramentelle et surnaturelle qui est tout entier évacué. Le sacrement de l’ordre, voilà qui est, d’un point de vue naturaliste, une aberration. Que ce point de vue ne soit pas celui de la journaliste n’a aucune importance : les réflexes d’écriture propres à sa fonction le lui font adopter d’une manière presque mécanique. Elle ne parlera donc pas du surnaturel : la position romaine devient donc, en bonne logique, de la misogynie, une « faute de goût ». Se rassembler une fois par semaine autour d’un président de séance, cela, en revanche, le naturaliste le conçoit bien : et c’est ainsi qu’un journaliste catholique réduira le sacerdoce catholique au ministère d’un pasteur protestant libéral.
Qu’il soit clair que je ne dis pas que ces journalistes sont des imbéciles : au contraire, leur écriture se conforme tout entière au postulat de base qui la fonde. Je ne ferais sans doute pas mieux qu’eux.
C’est également par ces réflexes que j’expliquerais les propos de nos deux journalistes sur Pie XII, avec là aussi des conséquences considérables, qui ne sont pas négligeables non plus sur le plan religieux et spirituel. Seul le non catholique, de préférence hostile, est en droit de formuler sur l’Eglise et son histoire un jugement valable, le seul catholique auquel on peut prêter oreille étant le « catholique critique », le journaliste de Golias que la télévision ne manquera jamais d’interroger. Pour le reste, on se référera toujours aux mêmes spécialistes plus ou moins autoproclamés, aux Frédéric Lenoir, Henri Tincq, Odon Vallet, tous se réclamant d’une inspiration chrétienne, mais « critiques » vis-à-vis de « l’institution » et des « dogmes ». Ce n’est pas un hasard non plus si l’ancien directeur de l’un des principaux journaux catholiques de France se crut obligé de saluer le livre Les Catholiques d’Henri Tincq, qui parlerait « avec autorité » des questions religieuses.
La conséquence principale en est que ces journaux, par souci d’objectivité, imposent à leurs journalistes (sans le vouloir, tout cela n’est peut-être pas conscient) une attitude qui introduit une singulière conception de l’objectivité : celle-ci, désormais, ne se trouve plus dans l’adéquation du discours à la chose, mais dans l’individu qui s’exprime. Le P. Gumpler ne peut donc formuler aucun discours objectif. Etrangement, on se demande rarement si les Christian Terras ou les Frédéric Lenoir sont « parties prenantes ».
La première conséquence sur le plan religieux touche aux saints, qui sont un aspect de l’histoire de l’Eglise. Un bon exemple pourrait être le traitement par la presse catholique des stigmates du saint Padre Pio. Ses réflexes lui imposant de ne pas paraître dépassé en invoquant une explication surnaturelle, le journaliste se précipite sur la première explication naturaliste. Il est alors difficile de ne pas songer au roman de Michel de Saint Pierre, La Passion de l’abbé Delance, ou l’évidence des miracles accomplis par un saint prêtre se heurte à l’hostilité de son évêque devenu naturaliste non par conviction, mais par souci pastoral. La conséquence logique de ce naturalisme pratique dans l’écriture est un mépris pour les saints de l’Eglise, qui deviennent automatiquement des fous ou des charlatans.
La seconde conséquence est encore plus grave : elle touche aux origines de l’Eglise, à la Résurrection de Notre-Seigneur. De ce point de vue, le traitement par les journalistes catholiques des secrets du suaire de Turin peuvent être significatifs. C’est une chose de ne pas croire à son authenticité. C’en est une autre de refuser absolument et a priori qu’il soit authentique. Ce sont, appliqués à la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les mêmes réflexes que ceux qui poussent les journalistes catholiques à se plaindre lorsqu’on leur apporte la preuve que Pie XII a sauvé de nombreux juifs.
En somme, la maxime qui résume le contenu de tous ces réflexes est la suivante : Seul est objectif celui qui est critique, la critique étant ici nécessairement une censure et non un discernement. Il s’ensuit chez nos journalistes un engouement automatique et mécanique pour tout ce qu’ils devraient combattre. Dans ces conditions-là, il est inévitable que leurs articles soit fortement imprégnés de modernisme. D’une certaine façon, ces journalistes ne feraient ainsi que manifester la difficulté des chrétiens à être dans le monde sans être du monde.
Je peux me tromper, bien entendu, et il resterait à expliquer pourquoi ces réflexes se sont installés ; mais il me semble que cette interprétation du modernisme objectif de la grande presse catholique nous permet au moins de ne pas juger nos frères journalistes, sans renoncer pour autant à la vigueur des objections que nous devons opposer à leurs propos dévastateurs.

Une interviewe du Cardinal Ratzinger (IV) Visiteurs