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Dans Tracce, la revue de Communion et Libération. (10/6/2012)

>> Texte en italien ici:
http://www.tracce.it/

"La visite intense de Benoît XVI à Milan. Après trois jours pleins de paroles et de faits, nous avons demandé à quelques personnes de commenter l'impact de la visite. Nous donnons la parole à la rédaction..."

     



On retrouve, surtout dans le premier récit, tous les sentiments, toutes les émotions que l'on éprouve lorsque l'on voit le Pape "en vrai".
Je me suis revue à Paris, en septembre 2008: beatriceweb.eu/BenoitEnFrance/

1.

Devant le Pape
«Je me suis retrouvée à courir après lui»
4/6/2012
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Vendredi 1er Juin, fin d'après-midi, sur le trottoir qui longe l'archevêché, c'est un flux continu de personnes. C'est un brouhaha de langues, de dialectes, de salutations, de phrases qui nous parviennent, hachées. En file, nous marchons vers la Piazza Duomo. Je suis moi aussi dans le flux. Une amie du service d'ordre m'interpelle: «Vous devriez passer par là». Je décide de m'arrêter. Je L'attends. Appuyée à la barricade, je regarde la cathédrale, de derrière: là en haut, la Vierge est «en cage». Une dame à côté de moi dit: «Je suis ici depuis deux heures de l'après-midi. A vous aussi, on a dit qu'il passerait par là?».
On attend.
Puis, en un éclair, les voitures bleues (ndt: de la police) passent devant moi, et j'entends des voix: «Il arrive!». L'écho des applaudissements devient de plus fort en plus fort. Je me dresse sur la pointe des pieds pour scruter la Piazza Fontana à la recherche de la voiture blanche. La voilà. La dame me demande: «Allons-nous crier "Viva il Papa!"?». Bien sûr que oui. Il s'approche. Il passe devant moi, à quelques mètres. Je crie: Viva il Papa! Et je le regarde. Je ne pense à rien. Mais mon regard ne le quitte pas.

«Maintenant, vous devriez aller sur la Place. Ici, il n'y a pas de son» me prévient l'amie du service d'ordre. Ok.
Je me retrouve sous le musée du XXe siècle. Ce n'est pas un emplacement idéal: les phrases nous arrivent, hachées. Peut-être les haut-parleurs sont-ils tournés de l'autre côté ... Le discours du maire, du cardinal. Puis c'est à lui. À un moment donné, durant quelques secondes, je l'entrevois dans le lointain. J'entends: «Ambroise ... Paul VI, ... Santa Beretta Molla». Ce sont les noms de notre histoire ambrosienne. Seule la bénédiction finale s'entend bien.
C'est fini. Que dois-je faire? Retourner rue de l'Archevêché? Il repassera sûrement là ... J'y vais. Comme à l'allée, on me fait faire le tour par derrière, par la Piazza Diaz. Et si je n'arrivais pas à temps? Je presse le pas. Cela ne suffit pas: je cours. Je ne peux pas manquer cela. J'arrive et je m'accroche à nouveau à la balustrade. Il repasse. Et il nous regarde tous : moi, l'amie du service d'ordre, la dame qui agite un fanion, le garçon d'Amérique du Sud ... Tous. Je fais du gymkhana entre les personnes, demandant continuellement pardon, pour rester à côté de la voiture blanche. Pour rester à côté de lui. Jusqu'à la dernière barrière: au-delà, on ne peut pas aller. Je crie encore, Viva il Papa!, et j'agite les bras pour le saluer. C'est seulement plus tard, quand la voiture s'est éloignée, que je pense que j'ai presque cinquante ans ... Pourquoi? Je n'ai pas pu m'en empêcher. Comme dans la foule qui se pressait autour de Jésus, cette femme qui a tiré son manteau ... Puis la voiture disparaît au-delà du portail de l'archevêché. Je reste immobile, le souffle court. Je ne pense à rien, sinon qu'il s'agit d'une belle journée. Pleine.

Paola Bergamini

* * *

2.

Dimanche après-midi je suis allé Piazza Fontana pour saluer le pape Benoît XVI avant son départ pour Rome. On m'avait dit que le chœur du CLU (?) chanterait pour le Pape: les étudiants étaient alignés derrière les barrières et interprétaient les chants polyphoniques chers à notre histoire : Egli è, Jesu Rex Admirabilis, Benedetto sia lo giorno, l’Ave Maria de Da Victoria, Sicut Cervus de Palestrina.. Au passage du Saint-Père, le chœur devait chanter Lob und Dank, l'hymne que l'on dit être son préféré.

À un moment donné, j'ai réalisé l'endroit où nous étions. Piazza Fontana. Devant nous, il y avait le bâtiment de la Banque Nationale de l'Agriculture (1). Celui de la bombe qui en 1969 ouvrit la saison des années de plomb. Derrière nous, une roseraie. Et les deux stèles que Milan a dédiées à l'anarchiste Giuseppe Pinelli, mort quelques jours après le massacre, en tombant d'un bureau de la Préfecture. La première est de la municipalité et dit: «A Giuseppe Pinelli, décédé tragiquement» . La seconde est celle posée par des étudiants milanais, qui récite «A Giuseppe Pinelli, mort innocent». J'ai toujours pensé que c'était l'endroit le plus tragique de la ville. Non seulement parce qu'il a été le théâtre du massacre, mais aussi parce qu'il montre de façon flagrante, à travers ces deux stèles, une plaie qui ne réussit pas à guérir.
Nous l'avons vu à nouveau récemment à la sortie d'un film sur les événements de la Piazza Fontana (1). Plus de quarante ans sont passés, mais les polémiques sont restées les mêmes. Une fracture ouverte dans le corps de l'histoire italienne et qui, ici, à Milan, se perçoit d'une manière particulière. Je pensais à ces choses, et mon cœur s'était couvert d'un voile de tristesse.
Et puis le choeur a entonné le Bogorodice Djevo (Ave Maria, "Les Vêpres" [Vigile de Nuit], Opus 37, cf. www.rachmaninov.fr/oeuvreschorales.htm ) de Sergei Rachmaninov. Un frisson d'émotion m'a parcouru. Emotion pour la beauté du chant. Et émotion parce que nous étions là, pour le dédier au Pape.
J'ai pensé que seule cette émotion permettait de regarder, sans en être submergé, le drame qui avait été consommé sur cette place, et qui continuait à se consommer à travers les deux stèles. Il s'agissait d'un geste d'affection. Gratuit. Pas seulement celle du chœur, mais aussi celle de Benoît XVI, qui était venu nous trouver au sein de notre existence faite de cratères que nous avons du mal à regarder. Oui, parce que le Pape est venu à Milan et il a caressé ma vie pleine de contradictions et de questions sans réponse. Il a aussi caressé cette ville, là où sa douleur est la plus aiguë . La douleur reste. Mais ainsi la tentation de la regarder comme la définition ultime sur nous, en cet instant, a été vaincue.

Luca Fiore

(1): Voir au sujet du drame de la Piazza Fontana, et du film qui vient de sortir sur le sujet: http://benoit-et-moi.fr/2012-I/

* * *

A suivre...