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Le vaticaniste, l'Eglise et le préservatif

Sandro Magister a consacré à ce jour 4 articles, dont 3 sujets à polémique, à propos de Lumière du monde.
Traduction d'un texte de l'éditeur américain, le Père Fessio, jésuite, qu'il avait cité parmi les critiques du Pape (5/12/2010).

Sandro Magister est un des vaticanistes qui, par son talent et ses relations, font l'évènement - je veux dire, qui peuvent le créer.
Il en a été ainsi cette fois encore, à l'occasion de la sortie du livre interviewe Lumière du Monde, plus exactement de la polémique née autour des propos du Pape sur le présevatif. A ce jour, il s'agit d'une pièce en 3 actes.

Premier acte.
Le 25 novembre. Sandro Magister titre son article "Lumière du monde". Une première pour un pape. (j'en ai parlé ici: Lumière du Monde: le commentaire de S. Magister )
Parlant d'une démarche d'une "audace inouïe", il reproduit l'article qu'il a publié dans l'hebmadaire de gauche L'Espresso. Soit il y dit son opinion réelle, soit ce que son commanditaire (L'Espresso) souhaite qu'il dise. Le paragraphe clé (dans lequel il cite comme témoins de moralité entre autre les cardinaux Carlo Maria Martini et Dionigi Tettamanzi!) est le suivant:
Si cette compréhension affectueuse s’applique à un pécheur, elle peut à plus forte raison s’appliquer au cas classique que rencontrent en Afrique et ailleurs les prêtres et les missionnaires : celui de deux époux dont l’un est malade du sida et utilise le préservatif pour ne pas mettre la vie de l’autre en danger.
J'avais "tiqué"....

Deuxième acte
1er décembre. Second article: Tir ami sur Benoît XVI. Par la faute d'un préservatif (cf. Autour de Benoît XVI, la même ligne de fracture ).
Sandro Magister donne la parole à ceux qui n'ont pas apprécié l'interprétation que lui-même aurait donné des propos du Pape dans le paragraphe sus-mentionné, et surtout à ceux qui n'ont pas (ou n'auraient pas) apprécié la prise de position du Saint-Père, ceux pour qui "cette fois-ci, c’est Benoît XVI qui semble créer des zones d’"ambiguïté" dans la morale catholique".
"Parmi eux - selon lui - le jésuite Joseph Fessio, son éditeur aux États-Unis (et par ailleurs membre du Schülerkreis, le cercle des anciens étudiants qui ont eu Joseph Ratzinger comme professeur de théologie), et des membres influents de l'Académie Pontificale pour la Vie".
Parmi les notes de l'article figurent deux articles de Joseph Fessio en anglais. Pour la compréhension du débat, j'ai traduit le premier: Did the Pope "justify" condom use in some circumstances?
Le second est à lire ici: http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1345783 (traduction peut-être à venir?)

Troisième acte
4 décembre. Et troisième article: Église et préservatif. Le "non" des intransigeants
Y figure entre autre une importante note des évêques kényans (qui mérite à elle seule un article), et qui est d'une clarté impeccable:

Nous répétons et nous réaffirmons que le point de vue de l’Église catholique en matière d’utilisation du préservatif – que ce soit comme moyen de contraception ou comme moyen d’affronter le grave problème du virus HIV et du sida – n’a pas changé et que cette utilisation reste comme toujours inacceptable.
Les comptes-rendus des médias ont, de manière incorrecte, cité le pape en sortant ses propos de leur contexte et ils ont banalisé les très délicates questions médicales, morales et pastorales que posent le virus HIV et le sida ainsi que l'accompagnement des personnes infectées ou malades, réduisant la discussion sur les exigences de la morale sexuelle à un simple commentaire sur les préservatifs.

Et aussi une lettre de mise au point de Joseph Fessio, adressée à Sandro Magister: lettre d'un ton familier et affectueux, mais le jésuite affirme "je suis vraiment désolé que vous m’ayez rangé parmi ceux qui critiquent le Saint Père. C’est tout le contraire. J’ai défendu le Saint Père. Pas seulement parce que je suis jésuite et que c’est ce que les jésuites sont censés faire, mais parce que je suis convaincu que le Saint Père a raison dans ce qu’il a dit. J’ai critiqué précisément ceux qui ont mal interprété ou mal compris ce qu’a dit Benoît XVI. Y compris vous."

Au final: Sandro Magister est sans aucun doute un grand journaliste, et un grand vaticaniste. Il est lu dans des milieux extrêmement influents (pas seulement au sein de l'Eglise, sans doute), son avis fait, autorité aux yeux de beaucoup et il a donc à ce titre une immense responsabilité. Dans son interprétation hâtive et subjective des propos du Pape, ou de commande, (n'oublions pas qu'il l'a écrite dans l'Espressso!!), il a été pour le moins imprudent, en accréditant l'idée que le Pape "s'ouvrait à l'utilisation du préservatif".

On voit bien que ce livre a été pour le Saint-Père un livre d'explication: les medias ont massacré mon voyage en Afrique (il dit qu'il s'est senti "provoqué", ce qui est un mot fort), je leur explique ce que j'ai voulu dire, je m'explique. On peut imaginer un second livre, d'explication du livre d'explication, puis un troisième, et ainsi de suite. Cela ne finirait jamais. Ce n'est pas seulement que les medias ne comprennent pas le Pape, c'est surtout qu'ils ne veulent pas le comprendre. Quand le Pape veut éclairer, leur seul objectif est d'obscurcir sa pensée, et partant, de troubler les gens. A cet égard, les deux épisodes symétriques de l'affaire du préservatif (la conférence de presse dans l'avion vers l'Afrique, et la réponse à Peter Seewald) sont un cas d'école.
Comment le disent les évêques kényans:
Réduire "l'interview toute entière à une phrase sortie de son contexte et de l’ensemble de la pensée du pape Benoît XVI serait une offense à l'intelligence du pape et une manipulation gratuite de ses propos".
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Ma traduction de l'article (en anglais) de Joseph Fessio
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1345780

 

Le pape «justifie»-t-il l'utilisation du préservatif dans certaines circonstances?
par Joseph Fessio SJ
21 novembre 2010
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Le pape «justifie»-t-il l'utilisation du préservatif dans certaines circonstances?
Non. Et il n'y a eu absolument aucun changement dans l'enseignement de l'Église non plus. Non seulement parce qu'une interview du Pape ne constitue pas la doctrine de l'Eglise, mais parce que rien de ce qu'il dit ne diffère de l'enseignement antérieur de l'Église.
Alors, pourquoi tous ces gros titres disant qu'il "approuve" ou "permet" ou "justifie" l'utilisation du préservatif dans certains cas?
C'est une bonne question. Tellement bonne que l'intervieweur lui a posé pratiquement la même question lors de l'entrevue.
Le pape a fait une déclaration lors de l'interviewe, déclaration qui a été largement citée dans les médias du monde entier. Immédiatement, l'intervieweur, Peter Seewald, a posé cette question: "Voulez-vous dire, alors, que l'Eglise catholique ne fait pas d'objection de principe à l'utilisation du préservatif?"
Le Pape a précisé et élargi sa précédente déclaration.
Examinons donc les deux déclarations.

Après avoir dit que «nous ne pouvons pas résoudre le problème [du sida] par la distribution de préservatifs ...» et que «la simple fixation sur le préservatif implique une banalisation de la sexualité ...» le Pape dit:
"Il peut y avoir une base dans certains cas individuels, comme peut-être quand un prostitué utilise un préservatif, alors cela peut être une première étape dans le sens d'une moralisation, une première prise de responsabilité, sur le chemin vers la récupération d'une prise de conscience que tout n'est pas permis et que l'on ne peut pas faire ce qu'on veut. Mais ce n'est pas vraiment la façon de traiter le mal de l'infection du VIH. Celle-ci réside en réalité seulement dans une humanisation de la sexualité".

C'est une déclaration pleine de réserves, très mesurée, (That is a heavily qualified, very tentative statement). Néanmoins, elle a sucité l'interrogation de Seewald, citée ci-dessus.
Mais d'abord, examinons cette déclaration de plus près . L'original allemand pour "Il peut y avoir une base dans le cas de certaines personnes ..." est "Es mag begründete geben Einzelfälle ...". L'Anglais ici, est une traduction fidèle et exacte. "Begründete" vient de "Grund" = "terre", et signifie à la fois le sol sur lequel nous sommes, et le fondement logique. Il y a une certaine ambiguïté, car il pourrait avoir le sens faible de «une base pour» ou le sens fort de "un fondement logique ou éthique". C'est peut-être pourquoi Seewald a posé la question, nous y reviendrons dans un moment.

Il est important de noter qu'il y a deux très graves erreurs de traduction dans la version italienne des remarques du pape, sur lesquelles se sont basés de nombreux rapports, puisque l'embargo a été rompu par le journal du Vatican, L'Osservatore Romano (Ceci est une autre histoire).
Tout d'abord, l'allemand parle de «ein Prostituierter", qui ne peut être qu'un prostitué mâle. Le mot allemand "normal" pour prostituée est «[eine] Prostituierte", qui est féminin et se réfère uniquement à une femme. La traduction italienne "una prostituta" inverse tout simplement ce que dit le Pape.

Tout aussi problématique, "giustificati" = justifiée, a été utilisé dans la traduction italienne de "begründete", et résout arbitrairement l'ambiguïté d'une manière unilatérale.
Le pape a répondu: "Elle [l'Eglise] ne le considère pas comme une solution réelle ou morale, mais, dans tel ou tel cas, il peut y avoir néanmoins l'intention de réduire le risque d'infection, une première étape dans un mouvement vers une manière différente, une manière plus humaine, de vivre la sexualité".

D'abord, une solution qui n'est pas "morale" ne peut pas être "justifiéé". C'est une contradiction et cela signifierait que quelque chose en soi moralement mauvais pourrait être "justifié" pour réaliser une bonne fin. Note: la notion de "moindre mal" n'est pas applicable ici. On peut tolérer un moindre mal; on ne peut pas faire quelque chose qui soit un moindre mal.

Mais la distinction essentielle se situe ici entre "l'intention" du prostitué de sexe masculin, c'est-à-dire éviter d'infecter son client, et l'acte lui-même, c'est-à-dire utiliser un préservatif. Puisque cette distinction a été oubliée dans presque tous les rapports que j'ai lus, elle appelle quelques précisions.

Cette distinction, en philosophie morale, est entre l'objet d'un acte et l'intention d'un acte. Si un homme vole pour forniquer, l'intention est de forniquer, mais l'objet est l'acte de vol. Il n'y a pas forcément de lien entre le vol et la fornication.

Dans le cas de la remarque du pape, l'intention est de prévenir l'infection et l'objet est l'utilisation d'un préservatif.

Voici un exemple de cette distinction, parallèle à ce que dit le Pape. Des agresseurs utilisent des barres en acier pour attaquer les gens, et les blessures sont graves. Certains agresseurs utilisent des barres rembourrés afin de réduire les blessures, tout en invalidant la victime par l'agression. Le Pape dit que l'intention de réduire les blessures (dans l'acte d'agression) pourrait être une première étape vers une plus grande responsabilité morale. Cela ne justifie pas les titres suivants: «Le pape approuve les barres rembourrées pour l'agression" "Le pape affirme que l'usage de barres rembourrées est justifié dans certaines circonstances", "le pape permet l'utilisation de barres rembourrées dans certains cas ".

Bien sûr, on peut moralement utiliser des tuyaux rembourrés dans certaines circonstances, par exemple comme des tuyaux isolés pour que l'eau chaude qui circule à travers eux refroidisse moins vite. Et l'on peut utiliser des préservatifs moralement, dans certains cas, par exemple, comme des ballons d'eau. Mais cela ne justifie pas les titres "Le pape approuve l'utilisation du préservatif", bien que dans ce cas, ce pourrait être vrai. Mais ce serait intentionnellement trompeur.

En somme, le Pape n'a pas "justifié" l'utilisation du préservatif en toutes circonstances. Et l'enseignement de l'Eglise reste le même qu'il a toujours été, à la fois avant et après les déclarations du pape.
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Sur ce sujet, on relira les explications que je persiste à trouver très justes et convaincantes, de Massimo Introvigne: Le Pape, le préservatif et les imbéciles

Relation entre juifs et chrétiens Lumière du monde: Bruno Mastroianni