A Rome et en voyage: le Pape vu de près (IV)
Quatrième chapitre (très attendu) de la traduction par Marie-Anne de la "biographie bavaroise" de Michael Mandlik. Une providentielle et merveilleuse bouffée d'air pur en ce moment! (8/1/2010)
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Marie-Anne m'écrit
Chère Béatrice,
en vous souhaitant la joie de Pâques maintenant que la tempête s'est un peu apaisée, je vous envoie un nouveau chapitre de notre livre dont la traduction est l'expression de ma prières intense qui continue, bien sûr, mais dans l'espérance de la victoire du Bien sur le mal.
Le Cardinal devenu pape
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Quand on va de nos jours dans un de ces restaurants qui se trouvent aux alentours du Vatican, il n’est pas rare de trouver dans la vitrine une photo du propriétaire en compagnie du pape pour signaler qu’autrefois il était l’hôte de ce lieu.
Ce qui serait bien évidemment impensable aujourd’hui. Imaginez le pape dans une pizzeria ; cela deviendrait une affaire d’Etat entre l’Italie et le Saint Siège, sans parler des mesures de sécurité. On comprend aisément que dans ces conditions, le pape préfère manger son plat de nouilles tranquillement chez lui. Par ailleurs, je pense que ce côté familier de la vie doit lui manquer, même si cela fait partie des contraintes de son style de vie actuel.
Quant à moi, j’ai pu me promener autrefois avec le cardinal dans les rues de Rome pour poursuivre ensuite notre conversation sur Dieu et sur le monde dans un restaurant. Je dois dire que cela me faisait mal de constater la façon dont les médias parlait de lui, en le traitant de “grand inquisiteur” sans vraiment le connaître. Mais cela a été la conséquence de sa haute fonction. Lorsqu’on est à la tête de la Congrégation de la Doctrine de la foi, on ne fait pas que des amis… C’est une responsabilités des plus ingrates qu’on puisse endosser à la Curie. On est une sorte de bouc émissaire, prêt à être dévoré par les medias.
Le pape Jean-Paul II savait bien quel était parmi ses cardinaux l’homme capable de remplir une telle fonction. Bien entendu, le sobriquet dont il était affublé n’avait rien avoir avec le caractère de J. Ratzinger. Chaque fois que j’avais l’occasion de lui parler, j'avais en face de moi un homme d’une extrême gentillesse, fort sympathique et d’un humour exquis. Dès qu’il a été élu pape, on était stupéfait de constater que celui qu’on appelait panzerkardinal était en réalité quelqu’un de très ouvert, allant vers les gens avec un sourire désarmant, et tendant la main à tout le monde. Mais ceux qui le connaissaient de longue date pouvaient dire qu’il était toujours ainsi. Les medias se demandaient si ce n’était pas la nouvelle fonction qui a changé la personnalité de cet homme. Mais justement, on pouvait poser la question si, tout au contraire, ce n’étaient pas les medias qui donnaient de lui une image faussée durant des décennies, lorsqu’il était préfet. Et pourtant, je n’ai lu nulle part un mot d’excuse pour déplorer ces faits, ni reconnaître le tort qu’on lui avait fait.
Croque-mitaine devenu star des medias
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Lorsque le pape Jean-Paul II a rendu public, par son intermédiaire, une décision importante, tout naturellement, c’est le cardinal qui devenait la cible des attaques et des moqueries. Il est devenu un véritable bouc émissaire pour la papauté et pour toute l’Eglise catholique. Et lorsqu’il a succédé à Jean-Paul II au siège de Pierre, il n'a pas été épargné non plus. Le jour même de son élection, des grands journaux anglais ne rataient pas l’occasion de se moquer du pape allemand, en l’accusant, entre autres, de nazisme à cause de son enrôlement forcé à la jeunesse hitlérienne dont nul ne pouvait échapper à son époque. En revanche, pour les médias allemands les réflexes anti-Ratzinger se sont calmés pour un peu de temps, pour céder la place à une large publicité, photos à l’appui : une aubaine pour les magazines dont le tirage augmentait considérablement.
Les livres
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Ses livres sont devenus aussi des bestsellers. Aussi bien les anciens qu’on a réédités que sa première encyclique, à cause du sujet traité. Pensez donc, un pape qui nous parle d’Amour…Rappelons ici l’avertissement que le cardinal formulait pendant la messe qu’il présidait avant le conclave : “Prenez garde, disait-il, de ne pas passer d’un extrême à l’autre : du marxisme au libéralisme, voire au libertinisme, du collectivisme à l’individualisme radical, de l’athéisme à un vague mysticisme, de l’agnosticisme au synchrétisme.” Il a appelé les chrétiens de devenir adultes dans la foi, au lieu de succomber à la dictature du relativisme.
C’est sûr qu’il y avait une certaine incompatibilité entre les exigences de la Congrégation de la Doctrine de la Foi et les medias à cause de leur point de vue différent : la complexité des problèmes difficiles à ne pas schématiser d’une part, et l’immédiateté indispensable de l’autre côté. Cette divergence avait comme résultat que la Congrégation était plutôt à la défensive face aux medias jugés quelque peu agressifs.
Traversant la Place St Pierre
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Malgré ces réticences réelles, il existait des films sur le Cardinal, réalisés par le CTV et aussi par la TV bavaroise. Il y avait même un site internet pour les fans de “notre cardinal”. Pour ses 70 ans, par exemple, nous avons filmé avec le cameraman de Fellini le trajet qu’il parcourait tous les matins entre son appartement de la Piazza delle città Leonina et son bureau. En réalisant cette séquence on ne se doutait pas du tout que, après son élection, elle ferait le tour de la planète pour illustrer ses premières paroles prononcées après l’annonce “Habemus papam” : “Je ne suis qu’un humble travailleur dans la vigne du Seigneur”.
Joseph, le romain
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Un mélange de son passé bavarois et l’expérience de la vie italienne depuis des décennies ont comme résultat une écoute très attentive et patiente, même lorsqu’il s’agit des sujets très éloignés de la théologie. Je me souviens des soirées en compagnie des amis, dans un restaurant typiquement romain où il faisait honneur à la cuisine italienne dont il était un fin connaisseur. Même si le repas se composait de plats ordinaires, sans prétention, par exemple, une petite pasta al pesto, du poisson grillé, un peu de légumes et comme boisson, presque toujours de l’eau. S’il prenait du vin, c’était pour honorer le lieu et donner le plaisir au serveur de remplir le verre du Cardinal. A l’occasion des méditations données pour la TV bavaroise, nous avons fait aussi des excursions, soit dans les Castelli, soit au monastère de st Benoît à Subiaco, et même jusqu’ à la Portioncule d’Assise. J’ai pu admirer sa connaissance très étendue jusque dans les détails, lorsqu’il s’agissait des localités qui étaient en rapport avec l’histoire de l’Eglise ou la vie des saints. Il voulait montrer par là combien l’héritage chrétien reste vivant dans la culture européenne, même si aujourd’hui beaucoup préfèrent l'ignorer officiellement. Sa confiance reste inébranlable dans l’Eglise qui va survivre, pense-t-il, à tous les processus de désintégration, grâce à la Providence.
Joseph, le bavarois
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Ses liens avec son pays natal demandent un chapitre particulier. Le souvenir d’une enfance heureuse reste vivace dans l’octogénaire. Il en parle toujours avec enthousiasme et précision comme si c’était hier. Pourtant tout n’était pas rose. Le jeune Joseph a dû subir moquerie et haine de la part de l’idéologie dominante lorsqu’il déclarait son désir de devenir prêtre. La Foi en Dieu allait à l’encontre du régime imposé par les nazis. Son attachement à la tradition vient de son expérience de ces années-là ; c’est au sein d’une famille très unie qu’il a pu sauvegarder la Foi. On peut imaginer l’angoisse des parents lorsque, après l’aîné, même leur enfant de 16 ans a dû être enrôlé juste avant la fin de la guerre meurtrière. Et le pape Benoît XVI ne cesse de rendre grâce à la Providence d’être préservé de la mort.Avec son frère Georg il aspirait à un nouveau commencement, dès la fin de la guerre, en entrant au séminaire. Cette renaissance souhaitable pour la société ne serait possible que si la religion a son mot à dire dans la vie publique, pensaient-ils. La Bavière sortait de la guerre avec une image négative dont il n’était pas facile de se débarrasser. Cela n’aura été rendu possible que grâce à la culture chrétienne puisée dans la tradition. En plus, les nouvelles frontières qui séparaient le nouveau totalitarisme de l’Est des autres parties de l’Europe, ont été tracées à l'autre bout de la Bavière…Pour le jeune théologien, comme pour le professeur d’université, il était clair que sans Dieu, l’homme ne peut se relever de la ruine, mais avec Dieu qui ne laisse pas tomber l’homme, tout devient possible.
Noir ou blanc? ou gris ? on ne le voit pas très bien…
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Les minutes les plus longues de mon activité de journaliste, c’étaient un peu avant 18 h, le 19 avril 2005, lorsque la fumée sortait de la cheminée de la Chapelle Sixtine. Elle devait annoncer le résultat du conclave. Est-elle noire ? est-elle blanche ? Voilà la question. J’étais à ce moment précis, sur la Place Pie XII, avec les journalistes du monde entier, moins bien placés que les journalistes italiens… Ce qu’on voyait tout d’abord, c’était plutôt gris. Comment voulez-vous prévenir le monde entier avec un résultat si peu clair ? Ce gris, serait-ce presque noir, ou plutôt blanchâtre ? — Mais tout à coup, on voyait des gens danser et chanter sur la Place St Pierre. Et aussitôt après, le gris de tout à l’heure est devenu nettement blanc, et les cloches commencèrent à sonner à toutes volées, et nous avons entendu l’annonce : Habemus papam…Ouff !!
Le nouveau secrétaire
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Georg Gänsewein a succédé à Joseph Clemens promu par le pape Jean-Paul II d’abord au rang du secrétaire de la Congrégation des religieux, puis nommé évêque, il est devenu secrétaire du Conseil pontifical des laïcs. Georg Gänsewein s’était familiarisé avec Rome depuis des années, du fait qu’après ses études à Munich et son poste de vicaire à la cathédrale de Fribourg, il fut appelé à Rome dès 1995. Il travaillait à la congrégation de la Doctrine de la Foi tout en occupant un poste d’enseignant à l’une des universités romaines. Après l’élection de Benoît XVI, tout le monde se demandait : Qui est celui-là derrière le pape? En tout cas, c’est quelqu’un de très médiatique dont l’élégance, la silouhette sportive et le sourire conquérant ne manquaient pas de gagner surtout le public féminin. Mais la tâche d’un tel secrétaire n’est pas comparable à celle d’un acteur de cinéma. Organiser les rendez-vous du pape non seulement à l’intérieur du palais apostolique et durant l’audience générale, mais aussi prévoir ses voyages hors du Vatican, voire hors d’Italie… ce n’est pas une mince affaire !
Une explosion de joie
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La relation du pape avec les Gebirgsschützen (chasseurs alpins ou gardes forestiers ?) est quelque chose de tout à fait spécial qui remonte à son enfance heureuse mais aussi aux sombres années de la guerre. C’est là qu’il a découvert la nécessité d’unir la vie privée et la vie publique en Eglise. Il s’agit d’une expression du patriotisme des bavarois face à l’envahisseur autrichien au tout début du 18e siècle. Ce détachement de soldats a déclaré n’avoir pas d’autre empereur que Dieu. Leur bannière n’a pas d’autre symbole que la Ste Vierge, Patronne de la Bavière qui intercède pour les bavarois auprès du Père céleste.
Le Cardinal est devenu naturellement membre d’honneur de la compagnie de Tegernsee. Et le pape reste fidèle à cette corporation. Pour ses 70 ans, il a reçu une sérénade donnée par 400 de leurs membres qui, avec leur fanfares ont traversé le col du Brenner pour arriver jusqu'à la Ville éternelle. Depuis qu’il est pape, il n’est pas rare d’apercevoir un groupe en costume traditionnel devant le Panthéon ou la Fontaine de Trévi. Le 16 avril 1997, leur défilé est allé jusqu’au palais apostolique où le pape Jean-Paul II voulait honorer, en les recevant, son plus proche collaborateur. La messe d’action de grâce pour ses 70 ans a été célébée par le cardinal à Ste Marie de Trastevere. Et ce fut la procession de toute la troupe depuis la place St Pierre jusqu’à l’églis qui se trouve un peu éloignée du Vatican. Le Cardinal fut d’abord surpris de voir toute cette procession, mais ensuite il était radieux de bonheur car c’était toute la Foi de son pays natal qui s’avançait vers lui, traversant les rues de Rome. Grâce à l’ingéniosité de son secrétaire Joseph Clemens on a réussi même à obtenir la premission des autorités civiles pour qu’on puisse le saluer avec une salve après la célébration, sur la prairie derrière l’église.
A suivre