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Le Pape et le préservatif

Un philosophe catholique écrit à Sandro Magister (10/12/2010)

TC publiait hier un éditorial intitulé "Plus papiste que le Pape" (ici).



C'est fou (et très suspect!) ce que la frange progressiste du catholicisme se réjouit du trouble indubitable que les propos du Pape ont suscité (à tort, car ils ont été incompris) du côté de leurs irréductibles ennemis traditionalistes.
L'auteur cite les articles de Sandro Magister (cf. Le vaticaniste, l'Eglise et le préservatif ), dont il propose un résumé acceptable.
Et puis, en conclusion ceci:
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On peut cependant encore assister aujourd’hui à de stupéfiants échanges exégétiques entre moralistes qui insistent et se demandent par exemple si l’on peut vraiment considérer et dire qu’une femme prostituée utilise un préservatif dans la mesure où ce n’est pas vraiment elle qui le porte. Où l’on voit que la rage théologique atteint parfois des sommets d’ingénuité…
Et si l’on cherche bien, on tombe sur d’autres perles. Un prêtre québécois (ndlr: de la FSSP) ose ainsi une audacieuse comparaison : le prostitué utilisant un préservatif reste mortellement pécheur, tout comme le serait resté le sinistre Gilles de Rais s’il avait renoncé à assassiner les enfants dont il abusait.

Si l'on suit le lien vers le site du prêtre québécois, on s'aperçoit que l'éditorialiste de TC lit très superficiellement ses sources, faute de temps, sans doute: en réalité, il cite l'article de Massimo Introvigne que j'avais traduit ici (cf. Le Pape, le préservatif et les imbéciles ), et que je persiste à trouver remarquable. Je ne veux pas exacerber l'hostilité, mais le qualifier de "perle" est pour le moins une preuve de manque d'ouverture d'esprit, et de refus du débat.

Quoiqu'il en soit, Sandro Magister continue son patient travail d'exégèse d'un texte du Pape... de quelques lignes!
Mais il le fait bien, et il n'assène pas ses jugements. Il aide, je crois, les catholiques "troublés" à comprendre les intentions du Pape.
Aujourd'hui, sur son blog personnel, Settimo Cielo, il publie une lettre très intéressante (et très longue) que lui a écrit un philosophe catholique.
Elle ne contredit ni Massimo Introvigne, ni Vittorio Messori (cf. Messori explique ce qu'a dit le Pape ), mais elle apporte des arguments solides, suivant une lecture très pointue.
Je crois que ce qu'a dit le Pape est effectivement très important, et que c'est tout aussi important de le comprendre, contre les simplications et les instrumentalisations.

Voici ma traduction (texte en italien ici: magister.blogautore.espresso.repubblica.it )

Le pape et le préservatif. Un philosophe catholique nous écrit
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Cher Magister

les mots du pape sur l'usage du préservatif, dans le livre interview avec Peter Seewald "Licht der Welt" ont fait sensation. Certains les ont salués comme une atténuation providentielle de la position traditionnelle de fermeture à la contraception, d'autres y ont vu une trahison de l'enseignement catholique sur la sexualité, et d'autres ont tenté de les minimiser en affirmant que le Pape n'a pas dit quelque chose de nouveau. Vous en avez (à mon avis à juste titre) souligné la nouveauté et la positivité. Le problème est: en quoi consiste cette nouveauté et cette positivité? Il me semble que le Pape a agi comme ce scribe de l'Évangile qui tire de son trésor "des choses anciennes et des choses nouvelles" (ndt: Matthieu 13:52 ). Ses paroles nous offrent une nouvelle perspective pour voir la doctrine de toujours. Elles disent à la fois plus et moins que ce que certaines interprètations ont voulu y voir. Cette fois, le pape s'est exprimé en langage courant, pas technique. Cela rend donc difficile pour les théologiens de comprendre le sens précis de ses paroles, mais a également l'avantage d'atteindre directement et efficacement l'homme du commun. Examinons plus en détail ce qu'il en est.

Ce que le pape a dit


Permettez-nous d'abord de placer les déclarations du pape dans leur juste contexte.
La question de Seewald concerne le voyage du pape vers l'Afrique et la résonance qu'ont eu ses propos quand il a dit que, devant la tragédie du sida, le préservatif n'est pas la solution. On accuse l'Eglise d'être loin de la tragédie du sida et même d'être responsable de la propagation de la maladie en raison de son rejet du préservatif. Dans l'interview, le pape ne renie rien de ce qu'il a dit alors. L'Eglise est proche des victimes du SIDA, elle respecte leur dignité et partage leur souffrance. Environ un quart des malades du SIDA à travers le monde sont traités dans des institutions catholiques. Le préservatif, cependant, n'est pas la solution. La solution est l'abstinence avant le mariage et la fidélité conjugale. Un couple d'époux fidèles est à l'abri de l'infection. La culture d'un comportement sexuel responsable est la vraie réponse au sida. Les campagnes de propagande du préservatif ont le défaut de supposer que la fidélité conjugale est impossible et que les relations sexuelles ne peuvent être contenues à l'intérieur d'une norme morale. Le présupposé de ces campagnes, c'est que la personne ne peut pas contrôler sa propre sexualité, et qu'elle n'a même pas l'obligation morale de le faire. C'est la culture du «one night stand». Va au lit une nuit avec l'un, et celle d'après avec l'autre. Avec cette culture, se répand inévitablement aussi le SIDA et l'usage du préservatif peut certainement retarder mais pas empêcher cette propagation. En dehors du SIDA, cette culture crée la solitude et le désespoir de l'homme, et c'est l'opposé de la culture de la famille et du travail dont l'Afrique a besoin pour croître.

Aux jeunes, l'Église dira non pas d'utiliser des préservatifs, mais d'éviter les rapports sexuels avant le mariage. Aux couples, l'Eglise dira non pas d'utiliser un préservatif, mais d'être fidèles. Mais que dira l'Eglise aux prostituées?
Là commence le problème auquel le pape veut répondre.

Il y a eu, à cet égard, une polémique dans la polémique, concernant la traduction du texte du pape. Le pape a utilisé l'expression "Prostituierter" que le traducteur italien a traduit par «prostituée». Certains ont fait remarquer que le mot en allemand est masculin. La différence n'est pas négligeable. Si un transsexuel utilise le préservatif dans un rapport homosexuel passif, l'utilisation, évidemment, ne peut avoir ni but ni effet contraceptif, et donc le pape, en disant que dans ce cas, le prostitué a raison de l'utiliser, non seulement ne dirait rien de nouveau, mais ne dirait même pas quelque chose d'intéressant. En fait, je défendrais bien le pauvre traducteur italien qui a été confronté à une tâche impossible. Dans le dictionnaire allemand, le mot «Prostituierter" ne figure pas. Ni même dans le Duden (le grand dictionnaire qui fait autorité). Cependant, il y a le verbe "prostituieren", se prostituer. "Prostituierter" est le participe passé masculin de "prostituieren". Désignerait-il donc un homme? Pas nécessairement. Le participe passé a une fonction adjectivale, il faudrait donc voir de quel substantif il est l'adjectif. Dans ce cas, l'adjectif est le substantif , et donc le substantif n'est pas exprimé. Il est clair que dans ce cas, la référence est à un homme qui se prostitue. En allemand, cependant, il y a deux mots signifiant "homme". L'un d'eux est "Mann" (homme de sexe masculin) et l'autre est "Mensch" (être humain, homme ou femme). Le pape a-t-il voulu dire "ein prostituierter Mann" ou "ein prostituierter Mensch"? Nous ne le savons pas. Le traducteur s'est trouvé confronté à une tâche impossible. Peut-être aurait-il dû traduire par "un être humain de sexe masculin, mais peut-être aussi de sexe féminin". Traduction de toute évidence improposable. Il a décidé de traduire par "prostituée". Nous ne le condamnerons pas. Son choix est conforté par le fait que le pape parle clairement d'un usage du préservatif moralement significatif et le fait que le pape se réfère (un peu plus loin dans le texte) à la théorie "ABC" sur un ton prudemment positif, ou du moins sans la condamner. Que dit cette théorie, développée dans la sphère laïque sur la base de l'expérience dans ce domaine? Tout d'abord, elle dit de ne pas avoir de rapport sexuels en dehors d'une communauté de vie conjugale. A est pour "abstinence". Une fois établie cette communauté de vie, elle dit d'être fidèle. B signifie "Be Faithful". Si vous ne pouvez pas (par exemple, si vous vous prostituez) au moins utiliser le préservatif ("condom"). Les deux premiers points ne semblent poser aucun problème pour la morale catholique. Qu'en est-il le troisième?

Essayons de dérouler le raisonnement du pape. Si vous êtes une prostituée, votre premier problème moral n'est certes pas le préservatif mais la prostitution. Si vous ne pouvez vraiment pas vous en sortir, au moins utilisez le préservatif pour ne pas risquer votre vie et celle de vos clients. L'utilisation du préservatif reste en soi un péché, et aucune modification n'est apportée à la doctrine traditionnelle. Toutefois, c'est un péché moins grave que l'homicide, ou la tentative d'homicide, le suicide ou la tentative de suicide que vous commettriez en acceptant un rapport non protégé. Par conséquent, comme le pape le dit très justement, ce peut être un premier pas vers une reprise de la conscience morale. Y a-t-il des péchés plus graves que d'autres? Sans aucun doute, en témoigne une longue tradition qui remonte à Thomas d'Aquin et au-delà. C'étaient les stoïciens, mais pas les chrétiens qui prétendaient que tous les péchés étaient égaux. A un ami, je dois toujours indiquer vie de vertu. Mais si (pour l'instant), il n'est pas en mesure de la suivre, je fais bien de lui conseiller au moins d'éviter les crimes plus graves. Il n'y a pas de changement de doctrine. Il y a une intelligente lecture pastorale qui a des conséquences de très grande importance, par exemple, pour le politicien qui doit se prononcer sur des campagnes de propagande contre le sida et pour tous ceux qui sont chargés de guider d'autres personnes (parents, enseignants, etc ... ). Je ne peux pas dire à mon peuple que le préservatif est la solution. Je dois d'abord parler d'abstinence et de fidélité. Mais je peux (je dois) dire aussi: si vous ne pouvez vraiment pas, au moins, utilisez un préservatif.

Ce que le Pape n'a pas dit


Le pape n'est en aucune façon intervenu dans la polémique suscité par l'article de Martin Rhonheimer (ndt: cité par Magister ici) qui justifie l'utilisation de préservatifs dans le cas de relations dans lesquelles l'un des conjoints est atteint du sida. La référence du pape est la prostituée, celle de l'argumentation de Rhonheimer, le conjoint.
Rhonheimer applique la théorie dite du double effet de l'action. En mettant un préservatif j'ai un but: protéger mon conjoint de l'infection. L'action, toutefois, a deux effets: elle protège de l'infection, mais empêche également la conception. Un effet est voulu, l'autre pas. Je serais heureux d'avoir un enfant et le fait que la conception n'arrive pas n'est pas le but vers lequel ma volonté est tourbnée, mais la conséquence involontaire, même si elle est prévisible, d'un actie qui vise à sauvegarder la santé de mon conjoint. Je suis responsable des conséquences intentionnelles de mon acte et non pas de ceux involontaire (bien que prévisible). Sur la thèse de Rhonheimer il y aurait beaucoup de choses à dire, mais ici, nous nous contenterons de signaler que le pape ne prend pas position à ce sujet. Ni pour, ni contre. Il parle d'autre chose, et d'une autre perspective.

Ce que nous pouvons penser


Mais le pape n'a-t-il vraiment rien à dire pour le conjoint d'un malade du SIDA? La demande ne lui a pas été faite, donc le pape n'y a pas répondu. Cependant, nous pouvons essayer d'appliquer le critère utilisé par le pape également à des situations différentes. Nous le faisons, bien sûr, à nos risques et périls et sans engager en aucune façon l'autorité du pape. Le critère est, souvenez-vous, qu'il y a des fautes majeures et des fautes mineurs, il y a un plus et un moins aussi dans le péché. Sur la base de ce critère, nous devrions dire au conjoint du malade que le Seigneur l'a appelé à une croix difficile, à une union particulière à la croix du Christ. Nous devrions aussi lui dire qu'avoir des rapports sexuels non protégés est pire que d'avoir des rapports protégés, et que s'il ne parvient pas à accomplir pleinement son devoir moral, qu'il essaye au moins de ne pas mettre en péril sa propre vie et celle de la personne aimée.

Le principe est naturellement extensible à d'autres situations qui n'ont rien à voir avec le SIDA.

Dans l'adultère, ce qui est mal, ce n'est pas l'usage (éventuel) du préservatif. Ce qui est mal, c'est la relation sexuelle avec une personne qui n'est pas votre conjoint. Eviter que des enfants naissent de cette relation peut être préférable au fait d'aggraver encore la situation avec la procréation d'un enfant hors mariage.

Et que dire de la procréation d'un nombre d'enfants nettement supérieur à ce que nous sommes en mesure d'élever et d'éduquer? Est-ce aussi un plus grand mal par rapport l'utilisation d'instruments anti-conceptionnels?

Une autre façon de penser


En peu de mots, le pape a ouvert une fenêtre sur une façon nouvelle (et néanmoins traditionnelle) de réfléchir aux problèmes de la théologie morale. L'argumentation du pape semble être conséquentialiste, mais elle ne l'est pas. (ndt: Le conséquentialisme ... constitue l'ensemble des théories morales qui soutiennent que ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral de ladite action. Ainsi, d'un point de vue conséquentialiste, une action moralement juste est une action dont les conséquences sont bonnes. Plus formellement, le conséquentialisme est le point de vue moral qui prend les conséquences pour seul critère normatif. Wikipedia)

Elle semble être conséquentialiste, car elle nous invite à faire un équilibre des maux moraux. Vaut-il mieux (ou plutôt: est-ce moins pire) risquer la contagion ou se protéger avec des préservatifs?
Il est préférable de se protéger. Il y a des maux pires que l'utilisation des préservatifs. L'éthique conséquentialiste estime que l'évaluation morale d'une action dépend entièrement d'un examen des conséquences de l'action. Souvent, les conséquences ne sont ni entièrement bonnes ni entièrement mauvaises. Il faut alors mettre en balance les effets positifs et négatifs. Si tuer une personne innocente en sauve dix autres, alors la balance penche dans le bon sens, et la mort de cette personne doit être considérée comme bonne. Pour l'éthique conséquentialiste il n'existe pas d'actions qui, en elles-mêmes (indépendamment de la balance des conséquences) puissent être considérées bonnes ou mauvaises.

A l'éthique conséquentialiste s'oppose l'éthique de la conscience qui considère que certaines actions sont mauvaises en elles-mêmes, indépendamment de toute considération des conséquences. Elles sont "intrinsèquement mauvaises" et ne peuvent jamais être acceptées. La qualification morale ne dépend pas (seulement) des conséquences, mais, surtout, de sa nature propre. Le débat sur "Humanae Vitae" a été largement dominé par la comparaison entre ces deux écoles théologiques.

La position du pape n'est pas conséquentialiste parce que pour lui, il ne fait aucun doute que la contraception artificielle est intrinsèquement mauvaise, toujours et dans tous les cas, et ne peut jamais être bonne. Certaines actions (et la contraception est l'une d'entre elles) ont leur propre nature intrinsèque qui comporte une évaluation morale.
Pourquoi alors le Pape introduit-il un argument conséquentialiste? Il le fait parce que (à juste titre) l'évaluation des conséquences est importante pour déterminer le degré de la responsabilité morale.

Prenons l'exemple lointain de la discussion sur "Humanae Vitae". Le meurtre d'une personne humaine est toujours un mal, c'est en quelque sorte le prototype du “intrinsice malum”. Mais il y a une différence entre le tueur en série et le bourreau qui exécute la peine de mort contre lui, surtout s'il n'y a pas de prisons sûre où l'enfermer pour l'empêcher de nuire. Nous ne dirons pas que le bourreau est bon, mais nous ne le mettrons pas sur un pied d'égalité avec le tueur en série. Le mal reste le mal, mais certains maux sont pires que d'autres. Le moindre mal est toujours mal, mais précisément, il est moindre par rapport à un autre. Le présupposé de l'évaluation du pape est la faiblesse de l'objet en question, qui est incapable de suivre la voie du bien. Que faire? L'abandonner? Ou lui demander un chemin progressif d'éloignement du mal, en commençant à tenter d'éviter les crimes les plus graves?

Déjà Jean-Paul II, dans l'exhortation apostolique "Familiaris consortio" a parlé d'une "loi de la gradualité" en la distinguant soigneusement d'une (supposée) gradualité de la loi. La loi de Dieu ne change pas. La conversion, cependant, n'est pas un événement ponctuel mais un processus avec ses étapes et ses retourr en arrière. L'Eglise accompagne l'homme dans ce chemin, avec rigueur et patience. Hans Urs von Balthazar, un grand ami de Joseph Ratzinger, avait écrit quelque chose de ce genre, il y a quelques années.

En conclusion


Le pape reconnaît clairement le rôle et même une certaine primauté de l'objet dans la détermination de la nature de l'acte moral. Il rappelle, toutefois, de pas sous-estimer le rôle, complémentaire mais important, des circonstances et du côté subjectif de l'action. Il faut se demander à quel point le sujet est capable de percevoir pleinement la situation morale dans laquelle il se trouve, et le guider dans un chemin progressif d'approche de la vérité. La nature de l'acte ne change pas, mais la responsabilité subjective peut varier. Là s'ouvre l'espace de l'accompagnement pastoral de l'homme vers la vérité.

Avec mon amitié,

Giovanni Onofrio Zagloba

Rome, 9 Novembre 2010

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